Pesticides : le Grand débat n’aura pas lieu demain, commençons-le aujourd’hui

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À l’invitation d’Allassac ONGF, les docteurs Pierre-Michel Périnaud et Joseph Mazé, de l’association d’alerte des médecins sur les pesticides (AMLP), ont donné ce 1er février une conférence à Allassac, visant à présenter l’état de connaissances scientifiques au sujet des effets pathogènes de l’exposition aux pesticides.

Devant une assistance d’environ 70 personnes, les deux médecins ont pu montrer combien sont inquiétantes les données médicales disponibles, qui ne laissent pas de doute sur la toxicité pour l’homme de l’usage de pesticides et d’autres substances chimiques (celles-ci présentes dans des produits d’usage courant et mêmes certains « médicaments »). Le lien entre pesticides et maladies est désormais de l’ordre de la certitude médicale, et ce lien est « fort » avec l’apparition de maladies chroniques chez l’adulte, mais aussi chez l’enfant. On apprend notamment que l’exposition de la femme enceinte aux pesticides fait courir un risque bien supérieur à la normale pour son enfant de retard du développement neurologique et de troubles du spectre autistique.

Signé par près de 1 800 médecins, l’appel national de l’AMLP partait déjà de ce constat, en 2014 :

Voilà plusieurs années que nous observons  chez nos patients une recrudescence de maladies chroniques : cancers, troubles de la fertilité, maladies neurologiques, diabète…Médecins du travail, médecins libéraux et hospitaliers, toutes spécialités confondues, nous faisons ce même constat.

Nous découvrons, dans le même temps, dans les publications scientifiques médicales, que les pesticides sont largement incriminés dans cette recrudescence.

Ces publications scientifiques montrent que les risques existent, au premier chef, pour leurs principaux utilisateurs, les agriculteurs, ainsi que pour leurs familles : plus de cancers de la prostate, de myélomes, de lymphomes chez les professionnels exposés, pour qui la maladie de Parkinson a été reconnue comme maladie professionnelle ; risques de malformations congénitales, risque 3 à 4 fois plus élevé de leucémie chez l’enfant d’une mère exposée aux insecticides ou aux herbicides pendant sa grossesse. Il a été établi également que vivre à proximité de zones d’épandage de pesticides augmentait le risque d’avoir un enfant à plus faibles poids et périmètre crânien) (je renvoie à l’article du docteur Périnaud pour la présentation synthétique des études scientifiques sur le sujet des enfants).

Ces informations, que les médecins diffusent auprès de leurs collègues et des instances de sécurité sanitaire depuis 5 ans maintenant, n’ont pas permis pourtant de faire diminuer l’utilisation des pesticides dans l’agriculture. Au contraire, puisqu’elle augmente d’année en année, malgré deux plans Écophyto qui devaient la faire diminuer de moitié ! Nos atermoiements nationaux sur l’interdiction du glyphosate sont la triste illustration de cet état de fait. Nous savons, mais nous ne faisons pas. Nous savons que le glyphosate est dangereux, non pas seulement parce que l’OMS l’a classé comme cancérogène probable, mais parce que nous en avons interdit d’utilisation les collectivités et, aujourd’hui, les particuliers. Alors, s’il est dangereux et interdit que les particuliers l’utilisent, pourquoi ne pas l’interdire immédiatement à ceux qui en utilisent le plus ?  Malgré l’annonce de façade du président de la République, il faudra certainement attendre 2022 pour que nos représentants européens décident de (ne pas) renouveler l’autorisation d’en répandre dans nos champs.

Pesticides : l’industrialisation de la maladie

Malgré quelques petits pas en avant, malgré l’écho médiatique régulier autour de ces questions, la situation évolue peu. Et nous savons pourquoi. Le poids des lobbies, d’abord, sur les décisions politiques. Lobbies de l’industrie chimique, et désormais lobbies de l’industrie pharmaceutique. En se regroupant en une seule entité, Monsanto et Bayer maîtrisent en effet aujourd’hui les deux bouts de la chaîne industrielle de la maladie, de sa production à son traitement, de la production de la maladie à la vente de médicaments censés la soigner. L’industrie des pesticides, c’est donc aussi la création d’un nouveau marché de la maladie, et qui rapporte doublement à son acteur principal, en fabriquant le poison et en monnayant ses antidotes : symptôme d’un capitalisme toxique, qui se développe par la voie du pathologique.

Lobbies de l’agriculture industrielle aussi, qui continuent de défendre un modèle que tout le monde sait condamné, et absurde. Jacques Lamaud, producteur bio de 26 variétés anciennes de pommes limousines, fit une intervention remarquée lors de notre soirée pour dénoncer le scandale du financement public de cette agriculture chimique, qui reçoit des aides non seulement de l’Europe mais aussi de nos régions et de l’État. Aides sans lesquelles aucune rentabilité ne serait possible pour les exploitants, poussés à s’endetter et rapidement prisonniers d’un système qui ne permet même pas à beaucoup d’entre eux de vivre décemment de leur travail.

Face à cela, on ne peut que constater que nos représentants font preuve d’une lâcheté totale, voire d’une complicité coupable. Les intérêts économiques continuent de servir d’alibi à l’absence de décisions fermes et, aujourd’hui, éclairées. Car nous savons de plus que les pratiques agricoles ne menacent pas que notre santé, et de nous rendre demain tous crétins. Elles détruisent aussi l’environnement, et les autres espèces : disparition massive des insectes, dont les pollinisateurs, et des oiseaux des champs ; stérilisation des sols rendus de moins en vivants par l’épandage annuel d’herbicides et d’insecticides ; empoisonnement durable du terroir antillais, et ce malgré la récente chlordéconade de notre président, etc. Il est difficile de ne pas voir que cette agriculture est beaucoup plus destructive que créatrice de richesses, si l’on veut bien admettre que celles-ci ne se réduisent pas au seul profit financier immédiat.

Alors ? Quelles sont les solutions ?

Sur ce chapitre, Pierre-Michel Périnaud et Joseph Mazé affichent un grand scepticisme quant à la possibilité de réformer le système de l’intérieur.

J’ai longtemps pensé que nous pouvions prendre les mesures nécessaires pour endiguer le problème mais aujourd’hui le système est une telle usine à gaz qu’il n’est plus réformable. D’un point de vue scientifique nous ne parviendrons jamais à prouver la toxicité ou non de toutes les substances une à une. Il est temps de montrer la sortie des pesticides. (l’Écho de la Corrèze, 5/02/2019)

La lourdeur des procédures pour obtenir l’interdiction d’une substance au niveau européen, ajoutée au travail de sape  des lobbies, rendent cette sortie improbable par les voies « naturelles » de notre démocratie représentative, si elle est laissée à elle-même, c’est-à-dire à l’influence des intérêts économiques industriels.

Et donc, quoi d’autre qu’une pression citoyenne pourrait faire contrepoids ?

Notre association, qui a été constituée il y a presque 15 ans par des riverains de zones d’épandage de pesticides, a obtenu malgré tout par ce moyen quelques avancées significatives : que la question des pesticides soit portée sur la scène publique ; que des mesures de protection soient prises en faveur des riverains, ce qui constitue une forme de reconnaissance officielle du caractère nuisible de l’exposition aux pesticides ; que ces riverains puissent être associés à la définition de ces mesures de protection, dans le cadre de chartes d’engagements prises au niveau départemental par les utilisateurs de pesticides (article 83 de la loi Egalim). Toutes ces mesures vont dans le bon sens, et elles ont quelques effets au niveau local. Mais, surtout, elles ne vont pas assez loin. Et encore, elles supposent que se constituent des collectifs ou des associations qui, comme la nôtre, portent les intérêts des habitants soumis à cette exposition, intérêts qui nous semblent bien aussi refléter l’intérêt commun.

Si le Grand débat lancé par le gouvernement comporte bien un thème relatif à la transition écologique, la question des pesticides en est totalement absente. Puisque ce débat n’aura pas lieu officiellement, il convient de le faire advenir, par effraction démocratique, ce que nous nous efforçons de faire sans découragement depuis toutes ces années. Puisque nos représentants ne veulent pas interdire qu’on nous empoisonne, et qu’on empoisonne notre environnement, il faudra bien les forcer à le faire. Mais si nous voulons les forcer à le faire, il faut être nombreux, se faire entendre, et bien sûr se forcer soi-même à être moins dépendant des pesticides.

Que nos élus, communaux, intercommunaux, départementaux, régionaux, nationaux, européens (ça fait déjà du monde !) soient attentifs à l’économie et à l’emploi, on ne peut leur reprocher. Mais que cela se fasse au détriment de la santé et de l’environnement, cela n’est pas acceptable. D’autant que les emplois agricoles, dans ce système, sont de moins en moins nombreux, les exploitations de plus en plus grandes, l’industrialisation du vivant toujours plus poussée. Nous croyons qu’il est nécessaire de sortir de ce système et, puisque c’est nécessaire, il faut donc que ce soit aussi possible.

Nous ne sommes pas les mystiques d’une Cause, ni les fanatiques d’un combat obscur, mais des citoyens qui demandent aux pouvoirs publics, et aux représentants élus, d’exercer leurs responsabilités dans ce domaine. Et nous saurons le leur dire et le leur rappeler tant qu’il le faudra !

Liens :

« Le système n’est plus réformable » : article de l’Écho de la Corrèze sur la rencontre du 1er février

Alerte des médecins sur les pesticides

« Nous voulons des coquelicots » : campagne pour l’interdiction des pesticides de synthèse

 

 

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